Le National 8 juin, 2015
Voyage dans le Vaudou Haïtien: Rencontre avec Marie Yoleine Gateau

Mambo Marie Yoleine Gateau.
Non loin de la station de Léogane, au cœur d’une habitation dénommée « Mon p’tit village », se situe le temple « Asòtò ». Si, d’après la doxa, le décor des « péristyles » inspire la peur et génère du frisson, dans ce temple vaudou, n’étaient-ce les signatures des esprits (vèvè), les portraits de certains « loas » et autres signes propres à ce culte, l’on pourrait s’imaginer dans n’importe quel temple du christianisme. C’est donc sous le kiosque de ce vaste terrain que Marie Yoleine Gateau – la « Mambo » du « lakou » – nous a reçus avec une convivialité exemplaire.

Souriante, chaleureuse, très honorée, avec les marques d’une hospitalité sans pareille, elle s’est approchée de nous dans sa robe blanche portée spécialement pour l’occasion. « Le blanc symbolise la pureté », justifie-t-elle pour commencer. On aurait cru que même son âme est blanche vu la joie qu’elle a témoigné à nous recevoir sur son habitation. C’est par une génuflexion qu’elle nous a salués en nous invitant à nous asseoir.

Sa rencontre avec le vaudou

Son père et sa mère n’avaient aucun rapport avec le vaudou. Mais son grand-père était un « Houngan ». C’est de lui qu’elle aurait reçu probablement cet héritage. Née le 16 mars 1954, Marie Yoleine Gateau a grandi dans le culte du catholicisme. Elle a même fait ses études primaires à l’école Sainte-Rose de Lima et celles du secondaire au Sacré-Cœur de Turgeau. Élevée loin de toute pratique vaudouesque, cela n’a pas empêché que les esprits fassent appel à elle dans un songe : « C’est à travers un songe que cette détermination de devenir « Mambo » a vu le jour en moi », raconte-t-elle avec le sourire aux lèvres. Durant ses études à l’étranger, elle était intriguée par son souci de comprendre le vaudou. Et déjà, ses transes incontrôlables augmentaient ses préoccupations. C’est finalement dans les bras de son mari, un psychologue italo-américain, qu’elle retrouve le moral et arrive à comprendre ce qu’est la transe. Si Marie Yoleine Gateau est « assogue » (du bénin : être choisi) dès sa naissance, ce n’est qu’en août 2014 qu’elle a finalement « pran ason » – équivalent de l’ordination dans la religion catholique. Conseillère pédagogique, madame Gateau a cette capacité de ne pas confondre sa vie professionnelle avec sa vie spirituelle.

Mambo : entre guide spirituel et profession

La Mambo dans le vaudou est l’égale du Houngan. Elle est la maîtresse de son temple. C’est un leader qui doit gérer tous les éventuels conflits. Pour devenir une vraie Mambo, il faut passer par le « Kan-zo ». C’est une sorte de voyage mystique qui dure onze jours, et qui doit commencer un jeudi (qu’on appelle « monte bila »). Le « ouyon » i.e. la personne qui fait le « voyage », doit s’enfermer dans un « djèvò », lieu où l’on réalise le « voyage », après avoir quitté le « rafrechi », lieu où l’on purifie le « ouyon ». Durant les onze jours du Kan-zo, on apprend au « ouyon » à canaliser de l’énergie, à maitriser le feu… avec l’aide des esprits. Une fois passée l’étape du Kan-zo, le « ouyon » est devenu un « Hounsi simple » pour devenir ensuite un « Hounsi sous point ». Si le Hounsi (communément appelé « pitit kay ») décide de « pran ason », il doit se rendre à « les lieux » qui représente une sorte de tribunal, où l’on interroge le Hounsi pour voir s’il est digne d’être Mambo ou Houngan. « C’est la procédure pour devenir Mambo quand on est « assogue »», explique madame Gâteau. Mais les « mambos lakay », les « mambos makout » n’ont reçu aucun appel des « loas », et peuvent ainsi ignorer cette étape. D’où naît un sérieux malentendu selon Marie Yoleine Gateau : « Beaucoup de gens pensent qu’être Mambo est un métier. Cela doit s’expliquer par le fait qu’elles (Mambos) réclament parfois des frais en contrepartie des services rendus ; cela est dû à leur précarité économique, mais n’enlève rien à leur identité de guide spirituel ». Pour ainsi dire, le statut de Mambo n’est pas un titre professionnel. La Mambo doit être perçue comme un berger, un mentor. Elle est placée pour aider les gens à bien servir les « loas » (esprits servant d’intermédiaire entre Dieu et les hommes, au même titre que les saints de l’Église catholique) et le « grand maître ».

Vaudou : entre mode de vie et religion

Considéré comme le culte du diable par une bonne majorité des chrétiens, le vaudou semble être tout autre chose. Marie Yoleine Gateau développe une double conception du vaudou. Selon elle, cette pratique doit être entendue, d’un côté, comme un mode de vie, et de l’autre, comme une religion. En effet, d’une part, il n’y a pas de principes préétablis dans le vaudou pour réguler le comportement des adeptes. Néanmoins, ces derniers cultivent le respect de l’autre, le sentiment de partage et d’entraide… D’autre part, dans le vaudou, il y a des divinités qu’on sert et qui chaque jour réalise des « miracles » dans la vie de ses adeptes. La gérante du temple « Asòtò » pense même que les vaudouisants pourraient écrire leur propre livre sacré.

« La Bible, le livre sacré des chrétiens, est le récit des exploits du peuple juif avec son Dieu, ajoute-t-elle. L’histoire des vaudouisants est tout aussi vaste et est dotée de grands « miracles » qu’on devrait raconter aux enfants ». Conjointement à ces deux points de vue, la Mambo pense qu’un temple vaudou est « le seul endroit en Haïti où l’on peut se sentir accepté tel que l’on est ». Le vaudou ayant pour principe la tolérance.

Ritzamarum ZÉTRENNE Romaric FILS-AIMÉ

 

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